dimanche 13 octobre 2013

Wastburg - Cédric Ferrand

Pour ce frais retour d’automne, offrons-nous un voyage en voyoucratie. Vous vous rappelez cette citation merveilleuse de China Miéville sur Tolkien ? Que je vous rafraîchisse la mémoire, vous verrez que cet homme est admirable. Donc, la voilà, telle que mise en exergue du premier chapitre de notre Wastburg :

“Tolkien est le kyste sur le cul de la littérature fantasy. Son oeuvre est massive et contagieuse : vous ne pouvez l’ignorer, n’essayez donc même pas. Le mieux que vous puissiez faire, c’est d'essayer de crever l’abcès. Car il y a beaucoup à exécrer : sa suffisance Wagnérienne, ses aventures bellicistes en culotte courte, son amour étriqué et réactionnaire pour les statu quo hiérarchiques, sa croyance en une moralité absolue qui confond morale et complexité politique. Les clichés de Tolkien (elfes, nains et anneaux magiques) se sont répandus comme des virus. Il a écrit que le rôle de la fantasy était de “réconforter”, créant ainsi l’obligation pour l’écrivain de fantasy de dorloter le lecteur.”
Et bien sûr, ayant passé la majeure partie de mon adolescence à m'aplatir le fessier sur mon rebord de fenêtre en dévorant ce type de littérature, j’opine violemment du bonnet quand j’entends Miéville. En effet, le propre de la fantasy, et d’ailleurs de plus en plus de l’œuvre d’imagination, est de nous distraire habilement, d’en toucher l’une sans faire bouger l’autre, comme l’aurait dit Jacques. Auteur, soit original, mais pas trop. Que les cochons soient bien gardés et que le bon gagne à la fin. D’où les merveilleuses réactions du public à la vision de l’épisode 9 de la saison 3 de Game of Thrones, car Georges R. R. lui non plus n’aime pas la facilité.

Et ils sont nombreux à éprouver le même rejet du trop facile, qu’on pense à Gaiman, Miéville, Jaworski, Niogret, Shepard, Kloetzer… et Cédric Ferrand, donc.




Joueur et créateur de Jeux de rôles, Cédric Ferrand a directement tiré son Wastburg de l’un d’eux, et parvient ainsi à livrer un roman fouillé et prenant : fait rare, le personnage, le fil rouge qui relie les multiples intrigues est la ville elle-même, Wastburg, corruptrice et corrompue. Ancienne merveille des environs, capitale des magiciens (les “majeers”), celle-ci s’est abîmée depuis le déclin de la magie dans un Moyen-Âge aussi sale que sanglant, où rouerie et trahison sont l’opium quotidien de la populace et où gardes et échevins pensent bien plus à s’enrichir qu’à protéger. C’est à travers les yeux d’une foule de Wastburgiens divers que progresse le récit. Tous plus crédibles les uns que les autres dans leurs tourments et petites traîtrises, ils traduisent l’âme de la ville et emmènent le récit vers sa conclusion avec une habileté diabolique. L’écriture, quand à elle, est délectable, de son impeccable premier paragraphe, long travelling quasi-cinématographique poursuivant la rivière qui baigne la souillure qu’est devenue Wastburg, jusqu’aux trouvailles argotiques qui font le langage de nos disgracieux habitants, tout est rythmé, réussi, bon en un mot.

Il faut, pour être complète, ajouter qu’on trouve sur le blog collectif de Cédric Ferrand et associés (un sacré bon blog, qui vaut sa visite régulière), une retranscription “en jeu” du jeu de rôle Wastburg : elle permet de mieux comprendre la construction du roman, et le génie de l’auteur à croquer un personnage en quelques mots.


Pour finir, je n’ose détailler les maints personnages hauts en couleur qu’abrite la ville, ce serait vous ôter un peu de viande sur ce bel os qu’est la tour des Majeers, dernier vestige de l’ancien temps féérique. Non, non, régalez-vous, lisez-en. Il n’y aura pas de “méchant”, pas de “gentil”, mais c’est promis : ce sera salement bon. 



Wastburg /Cédric Ferrand, Les Moutons électriques - 2011 ; 281p. - 26,40€

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire