mercredi 23 octobre 2013

D'autres Royaumes - Richard Matheson

Les lectures d’Audham et d’Eileen se croisent parfois… elles vous proposeront alors des critiques écrites en commun (sous le libellé Le Vent souffle du Nord.) Voici la première, à l’occasion de la disparition de Richard Matheson. 


Né en 1926 et décédé le 23 juin dernier, Richard Matheson est un des auteurs les plus importants des littératures de l’imaginaire, que ce soit par le nombre, la qualité de ses écrits ou simplement son influence sur la culture populaire. En effet, son imaginaire angoissant - traitant de thèmes universels tels que la folie, l’abandon, la mort, la solitude - a donné lieu à une série de classiques de la littérature fantastique ainsi qu’à de nombreux scénarios. Outre les romans restés légendaires (L’homme qui rétrécit, Je suis une légende, Le jeune homme, la mort et le temps, Journal des années poudre), il est également scénariste de séries à succès (Star Trek, la 4ème dimension) et de Duel, le premier film de Steven Spielberg. Justement récompensé par les prix qu’il a reçu au long de sa carrière, Stephen King lui-même lui reconnaît un grand rôle dans la genèse de son oeuvre, et déclaré qu’il lui a “montré le chemin.”

Eileen l’a lu : 
Étonnant donc ce dernier ouvrage,1er inédit depuis 10 ans et sans conteste plus fantasy qu’horreur. que fantastique. Le narrateur - un avatar de l’auteur ? - nous raconte comment, en 1918, une rencontre dans les tranchées de la guerre va changer le cours de sa vie le conduisant,après-guerre dans un village à l’accueil ambigu. De là, de ce contexte ancré dans le réel, on bascule doucement dans la fantasy : perceptions de sensations étranges, objets qui disparaissent, se transforment, contes à dormir debout relayées par les villageois, envoûtements… Puis une ballade en forêt, la rencontre d’une veuve aussi charmante qu'inquiétante (et dont on dit évidemment que c’est une sorcière), la rencontre d’une fée et de son monde, un amour impossible et le lecteur bascule, avec le narrateur dans “d’autres royaumes” qui changeront son existence. 
Ce qui m'intéresse dans ce genre de récit c’est le passage du monde “réel” au monde “féerique”. Habituellement, c’est en littérature fantastique que le lecteur voit consciemment ce passage ; en fantasy la tendance serait plutôt d’entrer de plein pied, dès le début, dans un monde féerique, avec ses codes propres. Ici donc, Matheson, par un récit quand même emprunt de fantastique arrive à nous faire basculer dans le merveilleux. Au-delà de cet aspect littéraire, j’ai l’impression d’avoir attendu que quelque chose arrive. Les péripéties du héros (ses rencontres, les objets magiques qu’on lui donne, les trahisons, etc.) m’ont amenée à attendre une sorte de révélation, un moment fatidique sans jamais l’avoir. Au bout des 286 pages, une impression d’avoir fait une jolie ballade mais une impression d’inachevé tout de même. Mon avis reste donc mitigé sur cet ouvrage.

Audham l’a lu : 
Qu’on se le dise, Matheson aura eu bien souvent la plume habile. Ses œuvres ont marqué le paysage fantastique par leur mélancolie et leur habileté à placer les humains face à de douloureux choix. Que ce soit le dilemme amoureux vécu par le jeune homme du Jeune Homme, la mort et le temps, où la dureté du monde du Journal des années de poudre, en passant par l’horreur permanente de Je suis une légende, il aura entraîné ses lecteurs à la suite de ses héros, et leur aura fait vivre maints tourments. Il aura toujours hésité à faire commerce de son talent d’écrivain, et essayé un peu, dans des tentatives vite oubliées par ses lecteurs déçus. 
C’est l’année de sa mort, après quasiment 10 ans de silence, qu’il a livré ce texte curieux qu’est D’autres Royaumes. Notre narrateur est un double malicieux de Matheson lui-même, devenu écrivain (non de fantasy mais d’horreur) par confort, parce que cela se vendait mieux. Âgé, il parle de l’écriture, et de ses œuvres passées avec cynisme, et seul le passé féérique, merveilleux, qu’il a vécu plus jeune semble trouver grâce à ses yeux. Ce passé où tout était possible, où les fées et les sorcières existaient, et où le narrateur, pur et inexpérimenté, était plus libre. Mais ce passé lui-même, annoncé comme merveilleux déçoit et sonne faux : tout semble dissonant dans cette histoire, et même les beaux moments cachent difformité et corruption. Malgré son tour charmeur, et ses descriptions ravissantes, D’autres Royaumes est un roman crépusculaire où les sorcières sont vieillissantes, les fées et les enfants sont morts, et le seul vrai bonheur est le souvenir d’un passé peu crédible. Un roman qui ne croit en aucune magie, ni la mauvaise, corruptrice, ni la bonne, risible, et qui finalement ne court que vers la mort. Un bien étrange roman, donc, qui semble raconter une charmante et mélancolique histoire, et dit finalement tout à fait autre chose , comme une rose dont le parfum masque la progressive décomposition.
D’autres Royaumes est à aborder comme un étrange testament, sans doute révélateur des opinions de son auteur.

D'autres Royaumes / Richard Matheson. J'ai Lu, 2013. 18 €.

dimanche 13 octobre 2013

Wastburg - Cédric Ferrand

Pour ce frais retour d’automne, offrons-nous un voyage en voyoucratie. Vous vous rappelez cette citation merveilleuse de China Miéville sur Tolkien ? Que je vous rafraîchisse la mémoire, vous verrez que cet homme est admirable. Donc, la voilà, telle que mise en exergue du premier chapitre de notre Wastburg :

“Tolkien est le kyste sur le cul de la littérature fantasy. Son oeuvre est massive et contagieuse : vous ne pouvez l’ignorer, n’essayez donc même pas. Le mieux que vous puissiez faire, c’est d'essayer de crever l’abcès. Car il y a beaucoup à exécrer : sa suffisance Wagnérienne, ses aventures bellicistes en culotte courte, son amour étriqué et réactionnaire pour les statu quo hiérarchiques, sa croyance en une moralité absolue qui confond morale et complexité politique. Les clichés de Tolkien (elfes, nains et anneaux magiques) se sont répandus comme des virus. Il a écrit que le rôle de la fantasy était de “réconforter”, créant ainsi l’obligation pour l’écrivain de fantasy de dorloter le lecteur.”
Et bien sûr, ayant passé la majeure partie de mon adolescence à m'aplatir le fessier sur mon rebord de fenêtre en dévorant ce type de littérature, j’opine violemment du bonnet quand j’entends Miéville. En effet, le propre de la fantasy, et d’ailleurs de plus en plus de l’œuvre d’imagination, est de nous distraire habilement, d’en toucher l’une sans faire bouger l’autre, comme l’aurait dit Jacques. Auteur, soit original, mais pas trop. Que les cochons soient bien gardés et que le bon gagne à la fin. D’où les merveilleuses réactions du public à la vision de l’épisode 9 de la saison 3 de Game of Thrones, car Georges R. R. lui non plus n’aime pas la facilité.

Et ils sont nombreux à éprouver le même rejet du trop facile, qu’on pense à Gaiman, Miéville, Jaworski, Niogret, Shepard, Kloetzer… et Cédric Ferrand, donc.




Joueur et créateur de Jeux de rôles, Cédric Ferrand a directement tiré son Wastburg de l’un d’eux, et parvient ainsi à livrer un roman fouillé et prenant : fait rare, le personnage, le fil rouge qui relie les multiples intrigues est la ville elle-même, Wastburg, corruptrice et corrompue. Ancienne merveille des environs, capitale des magiciens (les “majeers”), celle-ci s’est abîmée depuis le déclin de la magie dans un Moyen-Âge aussi sale que sanglant, où rouerie et trahison sont l’opium quotidien de la populace et où gardes et échevins pensent bien plus à s’enrichir qu’à protéger. C’est à travers les yeux d’une foule de Wastburgiens divers que progresse le récit. Tous plus crédibles les uns que les autres dans leurs tourments et petites traîtrises, ils traduisent l’âme de la ville et emmènent le récit vers sa conclusion avec une habileté diabolique. L’écriture, quand à elle, est délectable, de son impeccable premier paragraphe, long travelling quasi-cinématographique poursuivant la rivière qui baigne la souillure qu’est devenue Wastburg, jusqu’aux trouvailles argotiques qui font le langage de nos disgracieux habitants, tout est rythmé, réussi, bon en un mot.

Il faut, pour être complète, ajouter qu’on trouve sur le blog collectif de Cédric Ferrand et associés (un sacré bon blog, qui vaut sa visite régulière), une retranscription “en jeu” du jeu de rôle Wastburg : elle permet de mieux comprendre la construction du roman, et le génie de l’auteur à croquer un personnage en quelques mots.


Pour finir, je n’ose détailler les maints personnages hauts en couleur qu’abrite la ville, ce serait vous ôter un peu de viande sur ce bel os qu’est la tour des Majeers, dernier vestige de l’ancien temps féérique. Non, non, régalez-vous, lisez-en. Il n’y aura pas de “méchant”, pas de “gentil”, mais c’est promis : ce sera salement bon. 



Wastburg /Cédric Ferrand, Les Moutons électriques - 2011 ; 281p. - 26,40€

jeudi 10 octobre 2013

Le Secret dévoilé : enquête sur les mystères de Rennes-le-Château - Christian Doumergue

Il est des livres passionnants. Complexes, farfelus mais passionnants. C’est le cas du livre de Christian Doumergue, Le Secret dévoilé : enquête sur les mystères de Rennes-le-Château.

Mais commençons par la petite histoire. Un matin de mon adolescence, je m’abrutis devant la télé et zap-zap, je tombe par hasard sur une chronique de télé-matin où le chroniqueur expose les mystères de Rennes-le-Château.
Pour faire court : non loin de Carcasonne est le village perché de Rennes-le-Château ; au début du XXème siècle, y est nommé un curé, l’abbé Béranger Saunière. Celui-ci va d’abord rénover de façon majestueuse l’église de son village puis fera construire toute une série de bâtiments : une tour, une villa agrémentée d’un parc, jardins et animaux exotiques inclus. Evidemment “on” s’interroge : comment, avec sa seule solde de curée de campagne,l’abbé Saunière peut-il financer ces travaux ? Et si, lors de la réfection de l’église il avait trouvé un trésor ?
L’affaire ressort ensuite dans les années 60 et a pris depuis une ampleur considérable, attirant sur le plateau foule de chercheurs de trésor et de mystiques en tout genre.

L'abbé Béranger Saunière

Le livre de Christian Doumergue, à son tour “prisonnier” du mystère, décortique ce que l’on appelle depuis “l’affaire Saunière”. Son travail est à la fois celui d’un historien et celui d’un diplômé d’études littéraires, sachant différencier le symbolique du premier degré et autres tours de passe-passe littéraires et philosophiques. Il nous emmène donc bien au-delà du mythe de Rennes. Faire un résumé de toutes les “découvertes” apportées par cet ouvrage serait plutôt complexe, d’autant plus que j’ai personnellement des difficultés à retenir les “liens” entre chaque points. Mais vous aller voir que nous nageons en plein Da Vinci Code.

Commençons donc par être certains que la plupart des points avancés par Christian Doumergue sont des théories et que lorsque celles-ci ont été posées comme des vérités c’est que l’auteur les a vérifiées de façon historique.

Je vous passe les détails des recherches effectuées (le livre de Christian Doumergue fait ça très bien en quelques 630 pages) et ne vous résume ici donc que les “révélations”.
Attention "Spoiler":
{Tout commence avec le Secret de l’abbé Saunière,début XXème : les fonds de l’homme d’église venaient en fait de donations... L’affaire, refait surface dans les années 60 où, déjà, la rumeur court, celle d’un secret plus important trouvé à Rennes-le-Château, un secret d’ordre religieux. Doumergue nous apprends que la plupart de ouvrages traitant alors du sujet ont été écrits par les hommes de paille d’un certain Pierre Plantard, homme de l’ombre, pétri de mysticisme depuis sa plus tendre enfance. L’auteur va alors se rendre compte que “l’affaire de Rennes” est, en partie, un mythe monté de toute pièce et entretenu par Pierre Plantard pour faire passer ses idéologies. La grande croyance de Plantard est que toutes les religions proviennent d’une seule et unique religion primitive, celle du peuple de l’Atlantide. Et que (oui, c’est très raccourci) les Atlantes, ce peuple primitif - ou en tout cas les premiers hommes - auraient rencontrés sur Terre une autre humanité, une autre “race” d’humain, venue d’une autre planète. Et ceux-ci ce serait mélangés à nous donnant naissance à une lignée supérieure… lignée dont Jésus Christ ferait partie (il n’est donc pas de nature divine mais bien humain, quoique supérieur ; de plus son enseignement ne serait qu’un dérivé de la religion Atlante) Les autres membres de cette lignée composeraient certaines sociétés secrètes,comme la Rose+Croix, dont la mission est de garder cachées ces connaissances pouvant bouleverser l’ordre des choses établies, les religions et l’humanité toute entière. A cela s’ajoute la petite histoire de Jésus : Marie-Madeleine serait son épouse et elle aurait ramener le corps de Jésus en France lorsqu’elle y serait venue elle-même. S’en suit que le “secret” de Rennes-le-Château, résiderait en un temple souterrain, sur un modèle de temple atlante, où girait le corps de Marie-Madeleine (et de Jésus ?) Et l’auteur,d’être convaincu que Plantard aurait vu de ses yeux ce temple… qu’il reste à retrouver pour avoir des confirmations de toutes ces théories.}


Alors oui, beaucoup de chose font sourire (surtout l’idée d’une humanité extraterrestre) mais après tout, on nous a bien enseigné que Jésus marchait sur l’eau, ce n’est pas plus farfelu.
L’ouvrage de Christian Doumergue peut susciter beaucoup de chose, du sourire à la colère. Il a au moins le mérite d’être plutôt convaincant, démontrant une méthodologie de recherche historique pointue et n’affirmant rien qui ne soit vérifié. De toute façon, que l’on “croit”,que l’on adhère ou pas à toutes ces révélations, à lire c’est simplement passionnant.

 Le Secret dévoilé : enquête sur les mystères de Rennes-le-Château / Christian Doumergue,Editions de l'Opportun - 2013 ; 630p. - 18,90€