mardi 25 février 2014

La Lignée (The Strain), Chuck Hogan, Guillermo Del Toro

Après cette longue pause qui m’a permis de me débecter de romans pas si bons que ça (et dont on ne parlera du coup pas du tout), revenons à nos chroniques avec un bon morceau bien saignant, j’ai nommé La Lignée (The Strain en VO).

Les pauvres vampires ont bien souffert ces dernières années : de sauvages immortels ils sont devenus acteurs pornos (True Blood), fiancés parfaits pour midinettes (toute la Bit’litt), voire l’ultime croisement scintillant avec les elfes (oui ne crois pas que je ne t’ai pas vu te cacher derrière les autres, Twilight, c’est bien de toi que je parle, et t’as pas fini d’avoir honte, mon petit).

Mais du coup, leur image de terreur de la nature en a pris un sacré coup, et on n’avait plus rien à se mettre sous la dent, nous autres lecteurs.



Gloire en soit rendue à Guillermo Del Toro et Chuck Hogan, les vampires sont de retour, et ils sont en pleine forme.

Tout commence de nos jours avec un mystérieux avion qui se pose à New York toutes lumières éteintes. A bord, presque tous les passagers sont morts, et un mystérieux cercueil de bois est retrouvé. Alors que police, sécurité intérieure et médecins en sont encore à s'interroger, les corps se raniment et commencent à manifester leur soif de sang à leur famille proche. Quand au mystérieux cercueil de bois, il contient Sardu, Maître des vampires, bien décidé à apporter l’apocalypse aux États-Unis, et à mener une vieille vengeance personnelle…

The Strain commence avec une première scène d’anthologie, si prenante et si cinématographique qu’elle ne peut pas ne pas avoir été pensée pour l’écran. Dès ces premières pages (un conte de grand-mère magistralement raconté dans les années 30), Hogan et Del Toro nous attrapent et nous lâchent plus : de scène en scène, l’action ne cesse jamais, empilant les émotions et le grand spectacle pour obtenir des séquences visuellement marquantes. Que cela soit au coeur de la nuit, dans une morgue froide, ou dans un riant pavillon de banlieue, la mort guette et s’apprête à frapper dans un suspens si bien dosé qu’on en retient presque son souffle en tournant les pages.

Quelques scènes brillent par leur originalité : enfin on tente de disséquer un vampire, et le duo d’auteurs nous présente sa vision du fonctionnement vampirique (un peu improbable, mais elle a le mérite d’être originale). L’évolution des corps vers le vampirisme est très intéressante également, et on appréciera le personnage de Gabriel Bolivar, chanteur de rock vampire évoquant très fortement Marilyn Manson.


Mais ce savoureux travail, très pop, possède également de sérieux défauts : un scénario qui perd beaucoup à s’appuyer autant sur le mythe de Dracula (la scène d’arrivée en avion est un copié-collé de l’arrivée en bateau chez Bram Stocker, par exemple) et des clichés scénaristiques difficilements pardonnables : j’aimerais assez qu’on arrête de replonger en plein Nazisme pour expliquer tout et n’importe quoi dans la culture pop, qu’il s’agisse des gros muscles de Wolwerine, du lasso d’Indiana Jones, aux grondements de Godzilla et j’en passe et des meilleures… Les mecs, ça suffit, trouvez autre chose, là ce n’est plus du réchauffé, c’est du Picard cheap que notre micro-ondes mental n’arrive plus à rendre mangeable.

Un autre gros point noir réside dans les personnages, si caricaturaux qu’on peine à ressentir la moindre sympathie à leur égard : le professeur Setrakian, remplaçant de Van Helsing, est si visiblement calqué sur son illustre modèle qu’il en devient ridicule, Ephraïm Goodweather, le héros, boit du lait (et oui, c’est blanc, à l’opposé du sang que consomment les vampires, comme c’est fin et bien trouvé) et se dispute avec son ex-femme la garde de son fils. Cette dispute familiale, notamment, est si mal menée et sans intérêt qu’on saute tant qu’on peut ces passages en croisant les doigts pour qu’ils ne se reproduisent pas trop.

Bien sûr, il semble évident que ces personnages caricaturaux sont des archétypes, comme en BD, et qu’on est censés les accepter tels quels, mais ils sont malheureusement bien trop mal fichus pour qu’on puisse réellement apprécier ce qui leur arrive.



Du coup, le roman ressemble par endroit à une partie de Donjons et Dragons entre adolescents, et c’est un peu dommage, vu l’efficacité de la narration et la régularité des bonnes idées.

Enfin, c’est distrayant quand même, le Maître est une sale teigne menaçante et puissante, ne boudez donc pas votre plaisir.



The Strain est le premier volume d’une trilogie, a été adapté en comics chez Dark Horse Comics (écrit par David Lapham, dessins de Mike Huddleston), et se verra adapté en série télévisée cette année (sur FX, showrunner Carlton Cuse, qui était derrière une partie des scénarios de Lost). Espérons que cela sera moins répétitif que Walking Dead, et welcome back, les vampires.



La lignée / Chuck Hogan, Guillermo Del Toro. Presses de la Cité, 2010. 21,50 €