vendredi 23 mai 2014

Martyrs, Olivier Peru

En ce temps féérique d'Imaginales, parlons peu, parlons bien, parlons Olivier Peru. Dame Hawkins vous a chroniqué Druide, je vous parlerai donc de Martyrs, et vous verrez que de temps en temps nos lectures ne sont pas si éloignées que ça, quand on nous réunit autour du mystère et de l’aventure.

Mais avant, laissez-moi ces quelques mots d’introduction au phénomène Olivier Peru, parce qu’il le mérite bien.
De temps en temps, dans ce monde, on croise des gens (subtilement énervants) qui semblent doués de tous les talents. Pas de suspens, l’auteur dont il est question en réunit une collection scandaleusement longue : il dessine brillamment (il fait ses propres couvertures, illustre ses romans et dessine des BD), est scénariste et auteur, et tous ceux qui l’ont aperçu en dédicace confirmeront qu’il est invraissemblablement sympathique. Je me souviens de la lecture de Druide, à une époque où je lisais très peu de fantasy française, et de m’être promis de suivre la carrière de l’auteur. Il m’aura fallu du temps avant de m’attaquer à Martyrs, mais m’y voilà.



Donc, en une terre médiévale imaginaire, furent les puissants guerriers Azerkers aux yeux d’or. Disposant de pouvoirs magiques, résistants et à la vie particulièrement longue, ils furent victimes d’un véritable génocide lorsque le Roi Karmalys décida d’imposer sa loi. Depuis, les quelques descendants des guerriers aux yeux d’or sont impitoyablement traqués et tués.
Le roman s’ouvre sur une scène de chasse à l’homme spectrale mettant en scène l’un d’entre eux, et c’est en y survivant avec lui que nous rencontrons nos deux héros, les frères Lancefall, Helbrand et Irmine. Tous deux sont assassins, parmi les meilleurs de la ville d’Alerssen, et hantés par la perte de leur famille décimée par les gardes royaux, ont développé un rapport fraternel extrêmement fort.
Mais voilà qu’en ces temps de trouble où le règne du Roi Karmalys est contesté, on leur propose une périlleuse mission…

Et je ne vous en dis pas plus. Le livre est bon, très bon, et gorgé de l’influence des maîtres anglo-saxons (George R.R. c’est évident, mais je me demande si une petite dose de Robin Hobb aussi…) Les personnages principaux sont profonds et très attachants. Leurs opposants sont aussi travaillés, et on ressent régulièrement une certaine compassion pour leurs actions les plus cruelles : Karmalys, le roi obèse, est tout autant insensible qu’il est pitoyable, et c’est un gage du talent de l’auteur que de réussir à nous faire éprouver tant d’émotion à son égard. Le scénario est savamment concocté et ses tours et ses détours vont vous coûter une petites part de vos nuits. Il y a du panache, du mystère, de l’humour et une histoire d’amour, des décors superbes, les belles illustrations de l'auteur : si ce n’est pas déjà fait, Martyrs mérite vraiment quelques heures de votre temps.
Qu’ajouter si ce n’est que ce premier tome met en place un univers très cohérent qui appelle un développement dans les tomes suivants ? Et qu’on attend la suite ?

A suivre, donc.

Martyrs, d'Olivier Peru, J'ai Lu, 16 €

mercredi 7 mai 2014

L'enfer des rêves, Théodore Roszak : vieilles ficelles et conservatisme éculé

Il est toujours difficile de parler d’un livre qu’on a pas aimé.
Parce qu’on n’est qu’un humble petit lecteur, qu’on ne sait pas tout, qu’on a sans doute mieux à faire que de coucher sur le papier des émotions loin de l’enthousiasme. Mais bon, contraignons-nous un brin.

J”ai toujours eu un faible pour la bonne grosse vieille horreur 90’s, au point de me faire une petite collec de vieux Pocket terreur, et d’avoir lu des trucs pas reluisants d’intelligence mais tellement bourrés d’action et d’astuces narratives que j’y trouvais mon compte. Donc, typiquement, la collection Néo, au Cherche-Midi (survivance des Nouvelles Editions Oswald, qui se spécialisaient dans la traduction de textes méconnus en France), j’y vais plutôt les yeux fermés. En plus, l’auteur dont il va être question dans un petit instant, Théodore Roszak, m’était complétement inconnu, tout en offrant de sérieuses garanties de qualité. En effet, sociologue et professeur d'histoire, il a travaillé sur la contre-culture avant de se mettre à écrire, et un de ces romans, La Conspiration des ténèbres, semble particulièrement apprécié des fans de fantastique. En surnuméraire, le résumé de la quatrième de couverture promettait d’être dépaysant. Chouette chouette chouette, me dis-je, une nouvelle saveur à se mettre sous la dent.




L’histoire se déroule dans les 80’s (date d’écriture du roman), et notre personnage principal, la douce et effacée Deirdre Vale, a la faculté d’observer les rêves des autres, et même d’y entrer et de les influencer. Malheureusement pour elle, ce genre de talents est recherché pour détruire la psyché d’hommes politiques et de militants.
Son mari lui-même s’est fait détruire ainsi, et la folie qui l’a pris ensuite a causé sa mort et celle des deux plus jeunes enfants de Deirdre.
Tentant de se remettre au sein d’une clinique psychiatrique, elle ne sait pas encore que son talent va être utilisé pour modifier les rêves de la nouvelle patiente, une mystérieuse religieuse Guatemaltèque, mi-sainte mi-sorcière, pressentie pour le Nobel de la Paix.

Tentant, n’est-ce pas ? Sur quelques plans, le roman est plutôt lisible : les quelques scènes de jungle au Guatemala sont prenantes, l’histoire de notre religieuse est intéressante, particulièrement dans son rapport très compliqué à ses pouvoirs de sorcière traditionnelle (élevée dans un pensionnat catholique, elle s’interdit d’utiliser cette partie de ses dons, qu’elle considère comme un pêché). L’idée d’utiliser les rêves comme thème du roman est intéressante, et la première scène où Deirdre observe un rêveur est pleine de vulgarisation psychanalytique.
Il y a bien sûr des faiblesses que l’on retrouve dans tous les romans d’horreur de cette époque : du sexe gratuit et pas très bien fichu, des personnages caricaturaux dans leur pureté ou leurs faiblesses, et quelques péripéties mal amenées (la rencontre méchant-fille ado de Deirdre, par exemple, mal raccrochée à la trame narrative principale).
On ne parlera pas de l’héroïne, qui comme dans beaucoup de romans de cette époque est une pauvre chose fragile exclue de l’action, qui agit uniquement dans les rêves et exclusivement en jouant avec le désir des hommes.
Pas très bon, donc, mais jusque là rien qui puisse me faire lâcher le bouquin pour me frapper le front de consternation.

Sauf que. Plus loin dans la lecture, on découvre que l’opposant de l’histoire est homosexuel, et l’auteur a une vision de l’homosexualité si embrouillée qu’on ne sait jamais s’il est homo parce qu’il est méchant ou parce qu’il a été maltraité tout jeune. Pour l'auteur (au moins dans ce roman-là), et c’est visible lors des scènes oniriques où ledit personnage attaque des innocents dans leurs rêves, l’homosexualité est clairement à ranger du côté des perversions sexuelles. La preuve, Notre méchant est aussi haineux, addict au porno, drague des adolescentes mineures et aime détruire les autres: Roszak lui a collé dessus toutes les casseroles que son esprit d’intellectuel middle class américain a pu imaginer, et a ajouté l’homosexualité au tableau. Il ne s’est pas arrêté là : dans une série de flash-backs, on découvre que le mari défunt de Deirdre, parfait américain à succès, a été torturé dans ses rêves pour le faire “devenir” homosexuel et donc, une chose en amenant une autre, criminel… Sauf que ces délires en roue libre, complètement improbables, donnent au roman un arrière-goût si franchement détestable qu’il en est difficile de poursuivre sa lecture. Que cela est pût être édité sans peine en 1985, alors que l’horreur était un genre à succès et qu’on était peu regardant sur la bête, pourquoi pas. Mais lire ce genre de choses en 2014 m'a mise particulièrement mal à l'aise.

Des preuves de l’indubitable conservatisme de certains auteurs vedettes de cette littérature, il en existe des tonnes : que l’on compte le nombre de personnages principaux policiers chez Dean Koontz, Stephen King ou Herbert, le nombre de “créatures” s’attaquant à des femmes vulnérables… Mais avec le passage du temps, et l’évolution des mentalités, un écrémage s’est progressivement fait dans cette production, et ceux que l’on considère encore de nos jours sont finalement ceux dont les oeuvres étaient déjà les moins manichéennes.

Lire les vintages de l’horreur signifie donc pour une bonne part jouer aux dés, et si l’on est malchanceux, tomber sur ce genre de lectures déplaisantes. Cela ne m’empêchera pas de rejouer, et d’essayer un autre Roszak (le fameux "Conspiration des ténèbres") pour me faire une idée, mais je crois que pendant un petit moment, je vais passer mon tour.

L'enfer des rêves / Théodore Roszak. Le Cherche-Midi, collection Néo, 2008. 20 €