mercredi 23 octobre 2013

D'autres Royaumes - Richard Matheson

Les lectures d’Audham et d’Eileen se croisent parfois… elles vous proposeront alors des critiques écrites en commun (sous le libellé Le Vent souffle du Nord.) Voici la première, à l’occasion de la disparition de Richard Matheson. 


Né en 1926 et décédé le 23 juin dernier, Richard Matheson est un des auteurs les plus importants des littératures de l’imaginaire, que ce soit par le nombre, la qualité de ses écrits ou simplement son influence sur la culture populaire. En effet, son imaginaire angoissant - traitant de thèmes universels tels que la folie, l’abandon, la mort, la solitude - a donné lieu à une série de classiques de la littérature fantastique ainsi qu’à de nombreux scénarios. Outre les romans restés légendaires (L’homme qui rétrécit, Je suis une légende, Le jeune homme, la mort et le temps, Journal des années poudre), il est également scénariste de séries à succès (Star Trek, la 4ème dimension) et de Duel, le premier film de Steven Spielberg. Justement récompensé par les prix qu’il a reçu au long de sa carrière, Stephen King lui-même lui reconnaît un grand rôle dans la genèse de son oeuvre, et déclaré qu’il lui a “montré le chemin.”

Eileen l’a lu : 
Étonnant donc ce dernier ouvrage,1er inédit depuis 10 ans et sans conteste plus fantasy qu’horreur. que fantastique. Le narrateur - un avatar de l’auteur ? - nous raconte comment, en 1918, une rencontre dans les tranchées de la guerre va changer le cours de sa vie le conduisant,après-guerre dans un village à l’accueil ambigu. De là, de ce contexte ancré dans le réel, on bascule doucement dans la fantasy : perceptions de sensations étranges, objets qui disparaissent, se transforment, contes à dormir debout relayées par les villageois, envoûtements… Puis une ballade en forêt, la rencontre d’une veuve aussi charmante qu'inquiétante (et dont on dit évidemment que c’est une sorcière), la rencontre d’une fée et de son monde, un amour impossible et le lecteur bascule, avec le narrateur dans “d’autres royaumes” qui changeront son existence. 
Ce qui m'intéresse dans ce genre de récit c’est le passage du monde “réel” au monde “féerique”. Habituellement, c’est en littérature fantastique que le lecteur voit consciemment ce passage ; en fantasy la tendance serait plutôt d’entrer de plein pied, dès le début, dans un monde féerique, avec ses codes propres. Ici donc, Matheson, par un récit quand même emprunt de fantastique arrive à nous faire basculer dans le merveilleux. Au-delà de cet aspect littéraire, j’ai l’impression d’avoir attendu que quelque chose arrive. Les péripéties du héros (ses rencontres, les objets magiques qu’on lui donne, les trahisons, etc.) m’ont amenée à attendre une sorte de révélation, un moment fatidique sans jamais l’avoir. Au bout des 286 pages, une impression d’avoir fait une jolie ballade mais une impression d’inachevé tout de même. Mon avis reste donc mitigé sur cet ouvrage.

Audham l’a lu : 
Qu’on se le dise, Matheson aura eu bien souvent la plume habile. Ses œuvres ont marqué le paysage fantastique par leur mélancolie et leur habileté à placer les humains face à de douloureux choix. Que ce soit le dilemme amoureux vécu par le jeune homme du Jeune Homme, la mort et le temps, où la dureté du monde du Journal des années de poudre, en passant par l’horreur permanente de Je suis une légende, il aura entraîné ses lecteurs à la suite de ses héros, et leur aura fait vivre maints tourments. Il aura toujours hésité à faire commerce de son talent d’écrivain, et essayé un peu, dans des tentatives vite oubliées par ses lecteurs déçus. 
C’est l’année de sa mort, après quasiment 10 ans de silence, qu’il a livré ce texte curieux qu’est D’autres Royaumes. Notre narrateur est un double malicieux de Matheson lui-même, devenu écrivain (non de fantasy mais d’horreur) par confort, parce que cela se vendait mieux. Âgé, il parle de l’écriture, et de ses œuvres passées avec cynisme, et seul le passé féérique, merveilleux, qu’il a vécu plus jeune semble trouver grâce à ses yeux. Ce passé où tout était possible, où les fées et les sorcières existaient, et où le narrateur, pur et inexpérimenté, était plus libre. Mais ce passé lui-même, annoncé comme merveilleux déçoit et sonne faux : tout semble dissonant dans cette histoire, et même les beaux moments cachent difformité et corruption. Malgré son tour charmeur, et ses descriptions ravissantes, D’autres Royaumes est un roman crépusculaire où les sorcières sont vieillissantes, les fées et les enfants sont morts, et le seul vrai bonheur est le souvenir d’un passé peu crédible. Un roman qui ne croit en aucune magie, ni la mauvaise, corruptrice, ni la bonne, risible, et qui finalement ne court que vers la mort. Un bien étrange roman, donc, qui semble raconter une charmante et mélancolique histoire, et dit finalement tout à fait autre chose , comme une rose dont le parfum masque la progressive décomposition.
D’autres Royaumes est à aborder comme un étrange testament, sans doute révélateur des opinions de son auteur.

D'autres Royaumes / Richard Matheson. J'ai Lu, 2013. 18 €.

dimanche 13 octobre 2013

Wastburg - Cédric Ferrand

Pour ce frais retour d’automne, offrons-nous un voyage en voyoucratie. Vous vous rappelez cette citation merveilleuse de China Miéville sur Tolkien ? Que je vous rafraîchisse la mémoire, vous verrez que cet homme est admirable. Donc, la voilà, telle que mise en exergue du premier chapitre de notre Wastburg :

“Tolkien est le kyste sur le cul de la littérature fantasy. Son oeuvre est massive et contagieuse : vous ne pouvez l’ignorer, n’essayez donc même pas. Le mieux que vous puissiez faire, c’est d'essayer de crever l’abcès. Car il y a beaucoup à exécrer : sa suffisance Wagnérienne, ses aventures bellicistes en culotte courte, son amour étriqué et réactionnaire pour les statu quo hiérarchiques, sa croyance en une moralité absolue qui confond morale et complexité politique. Les clichés de Tolkien (elfes, nains et anneaux magiques) se sont répandus comme des virus. Il a écrit que le rôle de la fantasy était de “réconforter”, créant ainsi l’obligation pour l’écrivain de fantasy de dorloter le lecteur.”
Et bien sûr, ayant passé la majeure partie de mon adolescence à m'aplatir le fessier sur mon rebord de fenêtre en dévorant ce type de littérature, j’opine violemment du bonnet quand j’entends Miéville. En effet, le propre de la fantasy, et d’ailleurs de plus en plus de l’œuvre d’imagination, est de nous distraire habilement, d’en toucher l’une sans faire bouger l’autre, comme l’aurait dit Jacques. Auteur, soit original, mais pas trop. Que les cochons soient bien gardés et que le bon gagne à la fin. D’où les merveilleuses réactions du public à la vision de l’épisode 9 de la saison 3 de Game of Thrones, car Georges R. R. lui non plus n’aime pas la facilité.

Et ils sont nombreux à éprouver le même rejet du trop facile, qu’on pense à Gaiman, Miéville, Jaworski, Niogret, Shepard, Kloetzer… et Cédric Ferrand, donc.




Joueur et créateur de Jeux de rôles, Cédric Ferrand a directement tiré son Wastburg de l’un d’eux, et parvient ainsi à livrer un roman fouillé et prenant : fait rare, le personnage, le fil rouge qui relie les multiples intrigues est la ville elle-même, Wastburg, corruptrice et corrompue. Ancienne merveille des environs, capitale des magiciens (les “majeers”), celle-ci s’est abîmée depuis le déclin de la magie dans un Moyen-Âge aussi sale que sanglant, où rouerie et trahison sont l’opium quotidien de la populace et où gardes et échevins pensent bien plus à s’enrichir qu’à protéger. C’est à travers les yeux d’une foule de Wastburgiens divers que progresse le récit. Tous plus crédibles les uns que les autres dans leurs tourments et petites traîtrises, ils traduisent l’âme de la ville et emmènent le récit vers sa conclusion avec une habileté diabolique. L’écriture, quand à elle, est délectable, de son impeccable premier paragraphe, long travelling quasi-cinématographique poursuivant la rivière qui baigne la souillure qu’est devenue Wastburg, jusqu’aux trouvailles argotiques qui font le langage de nos disgracieux habitants, tout est rythmé, réussi, bon en un mot.

Il faut, pour être complète, ajouter qu’on trouve sur le blog collectif de Cédric Ferrand et associés (un sacré bon blog, qui vaut sa visite régulière), une retranscription “en jeu” du jeu de rôle Wastburg : elle permet de mieux comprendre la construction du roman, et le génie de l’auteur à croquer un personnage en quelques mots.


Pour finir, je n’ose détailler les maints personnages hauts en couleur qu’abrite la ville, ce serait vous ôter un peu de viande sur ce bel os qu’est la tour des Majeers, dernier vestige de l’ancien temps féérique. Non, non, régalez-vous, lisez-en. Il n’y aura pas de “méchant”, pas de “gentil”, mais c’est promis : ce sera salement bon. 



Wastburg /Cédric Ferrand, Les Moutons électriques - 2011 ; 281p. - 26,40€

jeudi 10 octobre 2013

Le Secret dévoilé : enquête sur les mystères de Rennes-le-Château - Christian Doumergue

Il est des livres passionnants. Complexes, farfelus mais passionnants. C’est le cas du livre de Christian Doumergue, Le Secret dévoilé : enquête sur les mystères de Rennes-le-Château.

Mais commençons par la petite histoire. Un matin de mon adolescence, je m’abrutis devant la télé et zap-zap, je tombe par hasard sur une chronique de télé-matin où le chroniqueur expose les mystères de Rennes-le-Château.
Pour faire court : non loin de Carcasonne est le village perché de Rennes-le-Château ; au début du XXème siècle, y est nommé un curé, l’abbé Béranger Saunière. Celui-ci va d’abord rénover de façon majestueuse l’église de son village puis fera construire toute une série de bâtiments : une tour, une villa agrémentée d’un parc, jardins et animaux exotiques inclus. Evidemment “on” s’interroge : comment, avec sa seule solde de curée de campagne,l’abbé Saunière peut-il financer ces travaux ? Et si, lors de la réfection de l’église il avait trouvé un trésor ?
L’affaire ressort ensuite dans les années 60 et a pris depuis une ampleur considérable, attirant sur le plateau foule de chercheurs de trésor et de mystiques en tout genre.

L'abbé Béranger Saunière

Le livre de Christian Doumergue, à son tour “prisonnier” du mystère, décortique ce que l’on appelle depuis “l’affaire Saunière”. Son travail est à la fois celui d’un historien et celui d’un diplômé d’études littéraires, sachant différencier le symbolique du premier degré et autres tours de passe-passe littéraires et philosophiques. Il nous emmène donc bien au-delà du mythe de Rennes. Faire un résumé de toutes les “découvertes” apportées par cet ouvrage serait plutôt complexe, d’autant plus que j’ai personnellement des difficultés à retenir les “liens” entre chaque points. Mais vous aller voir que nous nageons en plein Da Vinci Code.

Commençons donc par être certains que la plupart des points avancés par Christian Doumergue sont des théories et que lorsque celles-ci ont été posées comme des vérités c’est que l’auteur les a vérifiées de façon historique.

Je vous passe les détails des recherches effectuées (le livre de Christian Doumergue fait ça très bien en quelques 630 pages) et ne vous résume ici donc que les “révélations”.
Attention "Spoiler":
{Tout commence avec le Secret de l’abbé Saunière,début XXème : les fonds de l’homme d’église venaient en fait de donations... L’affaire, refait surface dans les années 60 où, déjà, la rumeur court, celle d’un secret plus important trouvé à Rennes-le-Château, un secret d’ordre religieux. Doumergue nous apprends que la plupart de ouvrages traitant alors du sujet ont été écrits par les hommes de paille d’un certain Pierre Plantard, homme de l’ombre, pétri de mysticisme depuis sa plus tendre enfance. L’auteur va alors se rendre compte que “l’affaire de Rennes” est, en partie, un mythe monté de toute pièce et entretenu par Pierre Plantard pour faire passer ses idéologies. La grande croyance de Plantard est que toutes les religions proviennent d’une seule et unique religion primitive, celle du peuple de l’Atlantide. Et que (oui, c’est très raccourci) les Atlantes, ce peuple primitif - ou en tout cas les premiers hommes - auraient rencontrés sur Terre une autre humanité, une autre “race” d’humain, venue d’une autre planète. Et ceux-ci ce serait mélangés à nous donnant naissance à une lignée supérieure… lignée dont Jésus Christ ferait partie (il n’est donc pas de nature divine mais bien humain, quoique supérieur ; de plus son enseignement ne serait qu’un dérivé de la religion Atlante) Les autres membres de cette lignée composeraient certaines sociétés secrètes,comme la Rose+Croix, dont la mission est de garder cachées ces connaissances pouvant bouleverser l’ordre des choses établies, les religions et l’humanité toute entière. A cela s’ajoute la petite histoire de Jésus : Marie-Madeleine serait son épouse et elle aurait ramener le corps de Jésus en France lorsqu’elle y serait venue elle-même. S’en suit que le “secret” de Rennes-le-Château, résiderait en un temple souterrain, sur un modèle de temple atlante, où girait le corps de Marie-Madeleine (et de Jésus ?) Et l’auteur,d’être convaincu que Plantard aurait vu de ses yeux ce temple… qu’il reste à retrouver pour avoir des confirmations de toutes ces théories.}


Alors oui, beaucoup de chose font sourire (surtout l’idée d’une humanité extraterrestre) mais après tout, on nous a bien enseigné que Jésus marchait sur l’eau, ce n’est pas plus farfelu.
L’ouvrage de Christian Doumergue peut susciter beaucoup de chose, du sourire à la colère. Il a au moins le mérite d’être plutôt convaincant, démontrant une méthodologie de recherche historique pointue et n’affirmant rien qui ne soit vérifié. De toute façon, que l’on “croit”,que l’on adhère ou pas à toutes ces révélations, à lire c’est simplement passionnant.

 Le Secret dévoilé : enquête sur les mystères de Rennes-le-Château / Christian Doumergue,Editions de l'Opportun - 2013 ; 630p. - 18,90€

jeudi 26 septembre 2013

Deux aventures londoniennes comparées : Londres / Neverwhere

Londres, ses méandres historiques, ses particularités culturelles, son ambiance si unique… Nulle ville n’est plus que Londres lieu de l’imaginaire, lieu de fééries et de dangers.
Il serait intéressant de compter le nombre de romans fantastiques où Londres tient la première place, mais, pour l’heure, réservons-nous deux morceaux de choix : le célèbre Neverwhere de Neil Gaiman, et le non moins intéressant Lombres, de China Miéville.


Neverwhere date de 1996, et figure parmi les tout premiers textes de fantasy urbaine à avoir connu une traduction française. Ce n’est que le deuxième roman de Neil Gaiman (pour le prédécent, De Bons Présages “Good Omens” il était le co-auteur de Terry Pratchett). Neverwhere a reçu un accueil remarquable, et reste l’un des textes cultes de Neil Gaiman, qui continue à émerveiller ses fans en promettant toujours une éventuelle suite. Le roman a été ensuite adapté en bande dessinée, au théâtre, en adaptation radiophonique… ce qui permet de se faire une idée de son extraordinaire popularité.
L’histoire (en rapide) : Richard Mayhew a une petite vie Londonienne étriquée, et une fiancée odieuse. Son destin bascule lorsqu’il vient au secours d’une jeune fille blessée, Clé, qui semble être le lien entre le Londres commun et le mystérieux Londres-d’en-dessous.


Lombres (Un Lun Dun en anglais) est paru en 2007. C’est le sixième roman de China Miéville, et le tout premier destiné au jeune public. Le roman est illustré des dessins personnels de China Miéville, et a remporté en 2008 le Prix Locus du meilleur roman dans la catégorie Jeune Adulte.
L’histoire (en rapide) : Zanna et Deeba sont deux amies très proches, âgées d’une douzaine d’années. Témoins de phénomènes étranges, elles se retrouvent par accident dans Lombres, un sous-Londres déviant, où il semble que l’une d’elles aie une important rôle à jouer.

Dès les premiers chapitres, de nombreux points communs émaillent ces deux textes, issus du même genre romanesque, de deux jeunes auteurs Londoniens écrivant de l’urban fantasy. Tout d’abord, nos deux anti-héros : le sympathique Richard Mayhew d’une part, qui se fait constamment humilier par divers personnages, la petite Deeba d’autre part, dont on nous dit qu’elle est gentille, rondouillette, et qu’elle n’a rien de remarquable, au point que si l’une des deux filles doit être une héroïne, c’est bien Zanna, son amie (ce qui est à l’origine d’un très joli retournement de situation). Tout deux viennent de milieux les plus traditionnels possible.
Le Lombres et le Londres-d’en dessous, ensuite, sont tout à la fois semblables et dissemblables : reliés au Londres original, ils en sont une pâle copie, pleine de dissonances, à l’existence fragile et exigeante. La vie dans les sous-Londres est passionnante, mais exclusive : en une belle métaphore de la lecture, celui qui choisit la ville fantasme est oublié, et disparaît de la vraie Londres. Les allers-retours ne sont pratiquement pas possibles.
Enfin les deux romans se rejoignent par de multiples références à l’histoire de la ville comme le Clean Air Act, les moines de Blackfriars, ou le pont de Knightsbridge. Dans les deux romans, l’épisode des moines qui attendent indéfiniment un épisode sacré est résolu avec humour et originalité.
Mais là s’arrêtent les ressemblances.
Car autant le Londres-d’en-dessous est tout aussi malpropre, et dangereux qu’il est merveilleux, et les horribles MM. Crouch et Vandemar sont authentiquement malfaisants : ils torturent et tuent avec une joie sadique. Le Londres-d’en-dessous est un Londres mythique, habité de créatures exemplaires (la Guerrière, le Vieux Roi, l’Ange), où les aventures sont le tissu de la légende, mais aussi un lieu de précarité, où les sans-abris habitent les lisières, où l’on mange du rat et où la traversée d’un pont peut générer de tels cauchemars que nul ne vous reverra jamais. Un Londres dystopique, d’autant plus merveilleux, donc, qu’il plonge ses racines dans notre Londres connu, et entremêle des récits historiques.
Lombres, en revanche, est un vrai pays merveilleux à la Alice, subtilement double : les cartons de lait sont de mignons animaux de compagnie, le couturier poéte coud des vêtements faits de pages de livres, on se bat avec des barrapluies, et les bus à impériale volent dans les cieux, chaque page bruisse de mille inventions soulignées par les dessins de China Miéville, eux aussi tout autant surprenants qu'inquiétants. Les deux méchants sont plus ouvertement politiquement corrects : la pollution de Londres, le “Smog”, assisté par Brokenbroll, le maître des parapluies cassés. Le roman, réussite, lui aussi, est clairement destiné à un lectorat plus jeune : la petite Deeba, quand un choix lui sera offert, ne fera pas le même que Richard. Pour autant, loin de toute facilité, l’objectif de Miéville est de montrer que n’importe qui, animé de bonnes intentions et d’un peu d’enthousiasme, peut sauver Lombres. Son personnage ne s’appelle-t-elle pas elle-même la Non-Choisie ?

En conclusion, deux romans superbes, réussites du genre, qui présentent de nombreuses ressemblances, et ne se distinguent que par le public auquel ils sont destinés et le traitement qui en a été fait. Personnellement, je suspecte fortement China Miéville, qu’on sait grand lecteur, d’avoir été si séduit par Neverhere qu’il a choisi d’en livrer sa propre version. La postface de Lombres se conclut d’ailleurs par les remerciements de Miéville à Gaiman pour “son indispensable contribution à la fantasmagorie Londonienne…”

Neverwhere / Neil Gaiman. J'ai lu, 7,80 €
Lombres / China Miéville. Pocket Science Fiction, 9,10 €

lundi 9 septembre 2013

Druide - Olivier (Oliver) Peru

Sur une terre, 5 “royaumes” : au Nord, les rois du Sonrygar et du Rahimir, toujours en querelle, séparés par une faille immense : la Cicatrice. Au Sud, les Tribus unis (qui ne seront qu’évoquées) et entre les trois, la Forêt, l’espace sacré de neutralité, le royaume des hommes de sèves, les Druides, gardien du Pacte ancien et arbitre des hommes. Le long de leur frontière Est, un mur aux fondations profondes les sépare du Coeur noir de la forêt, royaume d’un être maléfique appelé le Rôdeur,dont l’origine semble provenir de la nuit des temps, et qui hante les contes pour enfants.

Tout d’abord, je me dois de vous parler des Druides puisqu’ils sont au centre de l’histoire. Les Druides possèdent le Don,c’est à dire qu’ils sont sensibles aux ressentis d’autrui et peuvent pénétrer les pensées. Il y a 4 ordres : les Corbeaux, des érudits gardiens du savoir qui s’occupent des bibliothèques, les Ombres qui possèdent le Don le plus développé, pouvant dissocier corps et esprit et se lier avec la forêt, les Cerfs, gardiens de leur cité, la Cité-Racine, et qui veillent aussi sur la Forêt et enfin, les Loups, aventuriers, explorateurs, ceux qui se mélangent parfois aux hommes.

Je ne vais pas vous résumer Druide, ce serait trop vous ôter la découverte d’une histoire complète, complexe et bien montée. Pour faire simple et court : un Druide doit empêcher une guerre et lutter contre un mal ancestral qui menace les royaumes des hommes.

J’ai pu lire certaines critiques, avec lesquelles je ne suis pas d’accord : ce n’est pas cousu de fil blanc, le traître n’est pas simple à découvrir et au contraire, le lecteur ne peut, à l’instar des personnages, ne se fier réellement sur aucun d’eux. L’intrigue est bien menée, en douceur (et cruauté) sur 511 pages. La plume d’Olivier Peru est belle et simple.
Je trouve cet ouvrage particulièrement intéressant pour la figure du Druide. Habituellement guérisseurs, ils sont ici plus juges et arbitres, proches de la nature mais sans paraître irréels, restant tout à fait humains ; ils sont des hommes de biens, pacifiques jusque dans leurs mots. Ils n’engendrent pas (bien qu’il y ait des druides et des druidesses) mais élèvent les enfants abandonnés.

Visuel  de base pour la couverture de "Druide" - par Olivier Peru (ça fait un joli fond d'écran xD)

Si vous cherchez une histoire de fantasy, en un volume, d’où se dégage à la fois calme et horreur, une paix de la Nature et la rage des batailles, des histoires de créatures maléfiques et de pouvoirs psychiques… n’hésitez surtout pas, voilà un très bon livre que je vous recommande.


NB : a reçu le prix Imaginales des lycéens 2013 et le prix révélation 2011 des Futuriales.
Druide / Olivier Peru, Eclipse - 2010 ; 511p. - épuisé. (Version poche disponible : 8,90€)

lundi 19 août 2013

La Wicca

Il y a quelques temps de ça je vous avez promis, suite à une critique, de vous développer ce qu'était la Wicca. Voici enfin cet article.

La Wicca, aussi appelée "Ancienne Religion" ou "Religion des sorcières" est un mouvement religieux fondé par Gérald Gardner dans les années 40-60. Si pour certains elle s'apparente à une secte, c'est pour beaucoup une vraie religion et pour quelques uns une simple philosophie de vie.

La Wicca est basée sur la figure principale de la déesse-mère, la mère-nature à l'origine de toutes choses. Une seconde déité, le Dieu-cornu en est le pendant masculin mais semble avoir moindre importance. La Wicca inclue différents éléments de chamanisme, de druidisme et de mythologies diverses. C'est un culte de la Nature qui s’appuie sur les éléments et leur force.

Le Pentagramme (pentacle car dans un cercle) et l'Arbre de vie : deux symboles de la Wicca
Il existe de nombreuses "sous-branches", appelées "traditions", de la Wicca mais il faut également savoir que la Wicca est une religion où chacun est entièrement libre de sa pratique, où rien n'est figé. C'est "l'esprit" dans lequel vous effectuez les rites qui compte, même si le rituel n'est pas celui "prescrit" au départ. Grâce à cette liberté, beaucoup de Wiccan(ne)s pratique leur religion seul(e), sans être réuni en "coven".


La Wicca, ne l'oublions pas, est "la religion des sorcières". Elle est ainsi profondément ésotérique et chaque "apprenti" ou "initié" peu - sans y être obligé - s'adonner à la magie, (blanche la plupart du temps et de manière originelle) : potions, incantations et sorts seront appris ou créés au long de la vie du pratiquant. Ils seront consignés, avec beaucoup d'autres éléments (comme le journal intime, différents outils allant du calendrier lunaire au pouvoir des pierres et aux vertus des plantes) dans un grimoire appelé "Livre des Ombres". Eh oui! Les sœurs Halliwell sont certainement les sorcières Wiccanes les plus célèbres de notre temps!

La triple lune, symbole de la déesse et des âges : la femme jeunes la femme mûre, la femme âgée.

Pour aborder un côté plus historique et pour approfondir, l'article de Wikipédia sur la Wicca est pas mal du tout. Vous croiserez des noms comme Gerald Gardner, Alastair Crowley, Doreen Valiente, Marie des Bois, Scott Cunningham, etc.
Je précise aussi ici que dans la série Wicca tout est cohérent et que l'auteur n'invente rien de farfelu.


Pour ma part ce que j'apprécie dans la Wicca c'est la grande liberté de croyance et de pratique qu'elle permet, dans un respect total du vivant et de notre environnement. Son credo est d'ailleurs : "Fais ce qu'il te plaît tant que cela ne nuit à personne."

samedi 10 août 2013

The City & The City, China Miéville

Un des grands avantages des littératures de l'Imaginaire, c'est que l'imagination n'a pas de limite. Le fantastique peut s'immiscer en bien des lieux et à bien des époques. Même si des genres existent, et si certains lieux sont plus visités que d'autres, tout est possible. Le versatile China Miéville semble se délecter de toutes ces possibilités qui lui sont offertes, et se fait un devoir d'explorer dans chacun de ses romans les lieux les plus originaux, faisant de chaque roman une expérience tout à fait unique, quitte à égarer lecteurs et éditeurs.

The City & the City, donc, ma lecture de la semaine, est à bien des égards un polar.
Son héros est un policier solitaire d'une quarantaine d'années, Tyador Borlu, confonté à un meurte qui semble insoluble, dont il va falloir traquer l'assassin de page en page.
Du polar, donc. Sauf que.
The City & the City, c'est aussi l'incroyable histoire d'une ville double : une ville, qui à une période oubliée, s'est divisée en deux villes séparées partageant le même espace : Besz, pauvre, aux bâtiments délabrés, où Tyador Borlu mène son enquête, et Ul Qoma, en plein boom économique et aux gigantesques tours modernes. Une même rue peut être émaillée de bâtiments des deux villes, parcourue d'habitants des deux nations. Mais, pour préserver l'intégrité nationale des deux territoires, les habitants respectifs doivent faire semblant de s'ignorer et d'ignorer les parties étrangères offertes à leur regard, de "s'éviser", sous peine de de "rupture", sévèrement punie.
Et de ce tour schizophrénique, notre polar devient science-fiction. 
China Miéville nous convie à une enquête sur le fil du rasoir, entre polar et science-fiction, entre réalisme et folie, entre des différences qui n'en sont pas, avec une grande maîtrise technique.
Le résultat est étrange, difficilement qualifiable.
Trop de travail technique pour se couler dans le style du roman policier, en lui adjoignant ces incursions paranoïaques dans l'imaginaire, rendent la narration un peu impersonnelle, et ralentissent l'action. On sent parfois la peine de l'auteur à rendre la singularité de son univers, et qui noie une description efficace d'adjectifs se référant à l'autre ville pour rappeler l'étrangeté du monde de Tyador Borlu. On sent la peine à faire coexister le rythme soutenu d'une enquête policière aux pauses exigées par la description d'un monde aussi étrange qu'Ul Qoma et Besz.
Mais pour autant, l'ovni qu'est le roman, même entaché de ces quelques défauts, reste fascinant par son originalité et l'exigence technique que s'est fixé China Miéville.
Le conte de Besz et d'Ul Qoma a perdu nos amis éditeurs eux aussi : bien que croulant sous les prix (Hugo 2010, Locus 2010, World Fantasy 2010, British Science Fiction 2009...) c'est au Fleuve Noir que le roman a trouvé éditeur, et sur une table envahie de crimes de papiers que je l'ai trouvé.
The City & the City se joue des frontières jusqu'au bout.

The City & the City / China Miéville. Fleuve Noir, 2011, 20 €

dimanche 28 juillet 2013

Le Dernier chant d'Orphée - Robert Silverberg

Le mythe d'Orphée est peut-être l'un des plus connus : Orphée, jeune demi-dieu joueur de lyre, tenant son don d'Apollon lui-même est amoureux fou d'Eurydice. A peine sont-ils mariés qu'un accident enlève la vie à la jeune femme. Fou de chagrin, Orphée voyage jusqu'aux Enfers afin de récupérer sa bien-aimée. Là il passe un marché avec Hadès, maître des lieux : Eurydice retournera avec Orphée chez les vivants à la condition que le jeune homme sortent du royaume des ombres sans se retourner. Mais les Dieux, qui décident de nos destinées, jouent autrement et alors qu'Orphée s'apprête à retrouver la lumière du jour, un doute s'empare de lui et il ne peut s'empêcher de vérifier si Eurydice est toujours en train de le suivre. Il la perd fatalement une seconde fois.

Dans ce roman, Robert Silverberg prend la voix d'Orphée et nous raconte toute son histoire à la première personne : sa naissance et, de manière très philosophique ce que signifie être un demi-dieu (Orphée est fils d'une muse), son amour et sa perte d'Eurydice, et puis le reste de sa vie : sa participation à l'aventure de Jason et des Argonautes pour récupérer la toison d'or, sa rencontre avec Ulysse après la Guerre de Troie, le temps qu'il a passé en Egypte, auprès des prêtres de Pharaon... jusqu'à sa mise à mort par les femmes de son peuples, alors qu'il essaie de leur faire comprendre que leur dieu sauvage Dionysos n'est qu'une autre face du dieu pus civilisé qu'est Apollon.

Le discours d'Orphée dans ce roman, outre l'histoire en elle-même qu'il nous conte, est un peu particulier. L'auteur profite de ce statut de demi-dieu pour donner à Orphée une connaissance du monde plutôt philosophique : Orphée a conscience que quelque soit le dieu vénéré, Dionysos, Apollon, Poséidon ou encore Seth, Osiris ou Isis, tous ne sont que les différentes facettes d'un dieu unique, un Zeus tout puissant par qui tout a commencé. De même, pour Orphée, tout semble recommencer à l'infini ou disons plutôt qu'il semble connaître son avenir aussi bien que son passé et que le futur de l'humanité (il fait un moment référence à des philosophes bien plus proches de nous dans le temps). Présent futur et passé se confondent. Je ne me suis personnellement pas arrêté à ces aspects philosophiques que j'ai du mal à comprendre et dont je n'ai pas compris l'intérêt dans ce roman.

Rien de très fantasy ou fantastique non plus ici, si ce n'est le merveilleux intrinsèque à la mythologie. Dans un sens ce roman m'a fait pensé à Lavinia d'Ursula Le Guin, où l'auteur raconte l'histoire de ce personnage mythologique à la première personne et d'une manière plutôt réaliste, mis à part quelques fantômes et autres créatures mythologiques. Alors que dans l'interview qui clôture l'ouvrage, l'auteur dit s'attacher à l'humain, ici la figure des dieux et de leur pouvoir de décision sans limite transparaît et semble excusez beaucoup de comportements/décisions humaines sans rien apporter de plus à un roman qui pour moi reste une simple version parmi d'autre du mythe.


Le Dernier chant d'Orphée / Robert Silverberg, ActuSF - 2012 ; 146 p. (+ 30 p. d'interview de l'auteur) - 12€

samedi 20 juillet 2013

Metro 2033, Dmitri Gloukhovski

Année 2033, Moscou.
Un apocalypse nucléaire une dizaine d'année auparavant a rendu la surface invivable, et les seuls humains survivants se terrent dans le métro. Les seuls humains, car les créatures restées à la surface ont muté d'horrible façon, et sont généralement monstrueuses et agressives.
Quand au métro, divisé entre différentes factions politiques ou religieuses, il est la cible de nombreuses menaces qui mettent en danger la survie de l'espèce humaine.

Dans ce premier volume, nous suivons les aventures du jeune Artyom, de la station VDNKh, et dont la station est régulièrement menacée par des hordes de créatures terrifiantes, les Noirs. Parti dans un périple au cœur du métro Moscovite en espérant trouver de l'aide pour sauver sa station, il nous permet de découvrir avec horreur les maints dangers de cette société de la pénurie. De station en station, la survie de l'humanité s'avère bien ténue.


Metro 2033 est avec Les Sentinelles de la Nuit (Serguei Loukianenko, 1998) un des deux grands cycles fantastiques Russes qui sont parvenus jusqu'à nous ces dix dernières années. Et dans le cas de Métro 2033, passé inaperçu lors de sa sortie, la création d'un jeu vidéo adapté du premier tome a clairement permis au roman de trouver ses lecteurs. 
Plus encore que dans les Sentinelles de la Nuit, déjà marqué par un profond désenchantement et le pessimisme des personnages principaux, joués en permanence par leur destin ou leurs instances dirigeantes, Metro 2033 est nimbé d'une asphyxiante noirceur. Que reste-t-il d'humain chez ces hommes qui savent que l'humanité et la civilisation sont condamnées à courte échéance, et que les lois de l'évolution Darwiniennes ont favorisé d'autres espèces ? Quelques vestiges d'espoir entremêlés de sauvagerie désespérée pour survivre encore un jour, encore un mois, à n'importe quel prix.

C'est ce mélange de ténèbres et de lumière (le jeune Artyom, se battant pour aider les habitants du métro), qui fait de Metro 2033 un roman d'apprentissage crédible, doublé d'un roman d'aventure hautement addictif. Entraînant à sa suite un lecteur fasciné par l'univers mis en place par Gloukhovski, Artyom découvrira peu à peu les noirceurs et les compromissions du monde adulte. La fin, superbe et troublante, est également une surprise qui donne de fabuleuses pistes d'évolution pour la suite. 
Enfin, le roman réutilise intelligemment la figure du Stalker, créé dans le roman du même nom des frères Strougatski en 1972, et sa lecture complétera au mieux un périple dans Métro 2033.

En résumé, cet été, allez vous perdre dans les dédales du métro Moscovite (et prenez un plan avec vous, ça vous facilitera rudement la lecture), le soir, à la lueur de votre lampe de chevet. Vous en reviendrez troublé.

Métro 2033, Dmitri Gloukhovski. L'Atalante, 2010, 25 €

PS : et si vous aimez ce roman, sachez que Gloukhovski a encouragé les jeunes auteurs à se servir de son univers pour raconter leurs histoires. Vers la lumière, d'Andreï Dyakov, publié chez le même éditeur, vous initiera donc aux mystères  du métropolitain de Saint-Pétersbourg.

samedi 13 juillet 2013

Chien du Heaume, Justine Niogret. Le féminisme en Fantasy

Eileen picolant joyeusement dans les bucoliques vignes alsaciennes en tendre compagnie, me voilà donc avec les clés du Castel et sa plage de publication du samedi. Et ça tombe bien, parce que j’avais grande envie d’aborder un sujet qui me tient à coeur : la place réservée aux femmes dans la littérature fantastique et de fantasy, et pourquoi cet épineux sujet me fait aimer Justine Niogret d’amour.

Il faut bien vous dire d’abord que ce sujet n’est pas circonscrit aux littératures de l’imaginaire, et que des rôles de décorative bredine, la littérature nous en a réservé plus que notre content. Je me souviens d’ailleurs avoir déséspéré, en cinquième, de ne pas pouvoir jouer Cyrano et de devoir me contenter de la palôtte Roxanne (alors que j’ai appris des années plus tard que Sarah Bernhardt, en 1900, jouait les rôles de mec, et s’en portait très bien).
Sarah Bernhardt s'interroge : à quand un rôle de nana un peu couillu ?

En littératures de l’imaginaire, pendant un bon bout de temps, ça a été un peu pareil. Parlez-moi d’un personnage féminin fort dans Elric, le Seigneur des Anneaux, chez King ou chez Philipp K. Dick : inexistants, hein ?

Sur ces entrefaites, les années 70 ont débarqué, et la fumée de soutien-gorge brûlés associée aux statistiques qui montraient la féminisation de la lecture ainsi qu’à l'arrivée des premières auteures de fantasy ont changé les choses peu à peu. On a vu apparaître quelques personnages féminins agissants : Ténébreuse de Marion Zimmer Bradley,  l’oeuvre d’Ursula K. Le Guin, ou, plus récemment La Symphonie des Siècles (Symphony of ages) d’Elisabeth Aydon, ont rétabli un certain équilibre.
Marion Zimmer Bradley : parce qu'on peut être verte et intelligente
Récemment, Urban Fantasy et Bit Lit sont venus ajouter de nombreux personnages principaux féminins à la liste. Enfin, pas tant que ça. Ces dames se battent, c’est sûr. Elles sont même très douées, ont des professions d’aventurières et des vies dangereuses. Mais (et c’est un énoorme mais) elles ont surtout des peines de coeur (et de cul) extrêmement formatées, quasi-similaires, et souvent odieusement conservatrices.

On prendra pour exemple le rôle de l’héroïne dans la série Twillight, les aventures des Soeurs de la Lune de Jasmine Galenorn, les Merry Gentry et Anita Blake de Laurell K. Hamilton, Vicky Nelson de Tanya Huff …
L'épitomé de la bit lit avec vampires à paillettes

Et du coup, j’admet une certaine lassitude : je cherche franchement des titres où le personnage féminin est complexe, actif, raisonné, et n’est pas uniquement résumé au désir qu’il éprouve pour un vampire/loup-garou/zombie/extraterrestre/mec dangereux.

Du coup, et venons-en au sujet de cet article, j’aime Justine Niogret, et j’aime Chien du Heaume.
Chien du Heaume n’est pas qu’une femme, c’est avant tout un très bon guerrier, qui doit survivre dans un Moyen-Âge digne de la Matière de Bretagne, avec Seigneurs, créatures Monstreuses, développement de la religion catholique et tutti.


Chien du Heaume n’a pas d’histoire d’amour dégoulinante de romantisme, elle a sa hache, sa faim de savoir d’où elle vient, et ses éventuels compagnons d’armes.
Son histoire est une histoire d’humanité et de loyauté, racontée dans la langue superbe et percutante de Justine Niogret, pleine de violence, de fougue, et de nostalgie.
Ce premier roman a été couvert de prix (Grand Prix de l’Imaginaire, Prix des Imaginales...), et mérite vraiment lecture.
De mon côté, dithyrambique et convaincue, je suis avec attention la suite de la carrière de la dame.

Chien du Heaume / Justine Niogret, J'ai Lu, 5,90 €

lundi 8 juillet 2013

Leçons du monde fluctuant, Jérôme Noirez


Combien de fois ne s’est-on pas penché sur Alice, son lapin blanc, son chapelier, ses aventures dans le pays des merveilles ?
Nombreuses sont les oeuvres a avoir repris tous ces éléments,sans oublier la figure fascinante et sulfureuse de son auteur, Lewis Caroll, figure elle aussi digne de roman.
De cette matière fabuleuse de nombreuses relectures ont été tentées, et c’est d’une énième adaptation, mais bien plus étrange, multiple et déjantée, qu’il s’agit ici.

 Dans une Angleterre cauchemardesque, pétrie de vieux principes, érigeant fanatiquement le savoir en divinité ultime, Charles Dogson enseigne les mathématiques, n’écrit pas de contes pour enfants, et ne se fait pas appeler Lewis Caroll. Sa seule source de joie, la photographie de petites filles, lui porte vite malheur. Contraint de s’embarquer pour l’Île de Novascholastica, terre de mission pour les vaillants enseignants de l’Educaume d’Angleterre, Charles Dogson va aller de mésaventure en mésaventure, et rencontrer notamment, dans un univers déjanté plein de clins d’oeils à Alice, une étonnante petite fille fantôme. Dans leurs pérégrinations au goût de mort et d’onirisme les accompagneront un moustique géant et divin, un Ecossais possédé par un aimable cerf peureux, et un chien de chiffon des plus sympathiques.

 


N’ayant pour l’instant pas lu d’autres oeuvres de Jérôme Noirez (même si Fantasy pour les Ténèbres me tente depuis bien longtemps), il m’est difficile de me rendre compte si le roman est représentatif du reste de sa production. Néanmoins, je dirais que ce qui fait la réussite de ce livre, c’est l’imagination de Noirez, nourrie d’une grande culture, et surtout complétée par une tournure d’esprit des plus déjantées. De son habile cerveau d’écrivain sortent maints concepts bizarres, drôles ou dérangeants, qui transforment son roman en vaste expérience foutraque, habilement contrôlée par son auteur. C’est un plaisir, n’ayez aucun doute, mais un plaisir inhabituel pour lequel mieux vaut s’accrocher. A réserver sans doute aux lecteurs qui ne laisseront pas effrayer par ces grands élans de fantaisie débridée et onirique.

 Leçons du monde fluctuant, Jérôme Noirez. J'ai lu, 2010, 7,20 €