dimanche 28 juillet 2013

Le Dernier chant d'Orphée - Robert Silverberg

Le mythe d'Orphée est peut-être l'un des plus connus : Orphée, jeune demi-dieu joueur de lyre, tenant son don d'Apollon lui-même est amoureux fou d'Eurydice. A peine sont-ils mariés qu'un accident enlève la vie à la jeune femme. Fou de chagrin, Orphée voyage jusqu'aux Enfers afin de récupérer sa bien-aimée. Là il passe un marché avec Hadès, maître des lieux : Eurydice retournera avec Orphée chez les vivants à la condition que le jeune homme sortent du royaume des ombres sans se retourner. Mais les Dieux, qui décident de nos destinées, jouent autrement et alors qu'Orphée s'apprête à retrouver la lumière du jour, un doute s'empare de lui et il ne peut s'empêcher de vérifier si Eurydice est toujours en train de le suivre. Il la perd fatalement une seconde fois.

Dans ce roman, Robert Silverberg prend la voix d'Orphée et nous raconte toute son histoire à la première personne : sa naissance et, de manière très philosophique ce que signifie être un demi-dieu (Orphée est fils d'une muse), son amour et sa perte d'Eurydice, et puis le reste de sa vie : sa participation à l'aventure de Jason et des Argonautes pour récupérer la toison d'or, sa rencontre avec Ulysse après la Guerre de Troie, le temps qu'il a passé en Egypte, auprès des prêtres de Pharaon... jusqu'à sa mise à mort par les femmes de son peuples, alors qu'il essaie de leur faire comprendre que leur dieu sauvage Dionysos n'est qu'une autre face du dieu pus civilisé qu'est Apollon.

Le discours d'Orphée dans ce roman, outre l'histoire en elle-même qu'il nous conte, est un peu particulier. L'auteur profite de ce statut de demi-dieu pour donner à Orphée une connaissance du monde plutôt philosophique : Orphée a conscience que quelque soit le dieu vénéré, Dionysos, Apollon, Poséidon ou encore Seth, Osiris ou Isis, tous ne sont que les différentes facettes d'un dieu unique, un Zeus tout puissant par qui tout a commencé. De même, pour Orphée, tout semble recommencer à l'infini ou disons plutôt qu'il semble connaître son avenir aussi bien que son passé et que le futur de l'humanité (il fait un moment référence à des philosophes bien plus proches de nous dans le temps). Présent futur et passé se confondent. Je ne me suis personnellement pas arrêté à ces aspects philosophiques que j'ai du mal à comprendre et dont je n'ai pas compris l'intérêt dans ce roman.

Rien de très fantasy ou fantastique non plus ici, si ce n'est le merveilleux intrinsèque à la mythologie. Dans un sens ce roman m'a fait pensé à Lavinia d'Ursula Le Guin, où l'auteur raconte l'histoire de ce personnage mythologique à la première personne et d'une manière plutôt réaliste, mis à part quelques fantômes et autres créatures mythologiques. Alors que dans l'interview qui clôture l'ouvrage, l'auteur dit s'attacher à l'humain, ici la figure des dieux et de leur pouvoir de décision sans limite transparaît et semble excusez beaucoup de comportements/décisions humaines sans rien apporter de plus à un roman qui pour moi reste une simple version parmi d'autre du mythe.


Le Dernier chant d'Orphée / Robert Silverberg, ActuSF - 2012 ; 146 p. (+ 30 p. d'interview de l'auteur) - 12€

samedi 20 juillet 2013

Metro 2033, Dmitri Gloukhovski

Année 2033, Moscou.
Un apocalypse nucléaire une dizaine d'année auparavant a rendu la surface invivable, et les seuls humains survivants se terrent dans le métro. Les seuls humains, car les créatures restées à la surface ont muté d'horrible façon, et sont généralement monstrueuses et agressives.
Quand au métro, divisé entre différentes factions politiques ou religieuses, il est la cible de nombreuses menaces qui mettent en danger la survie de l'espèce humaine.

Dans ce premier volume, nous suivons les aventures du jeune Artyom, de la station VDNKh, et dont la station est régulièrement menacée par des hordes de créatures terrifiantes, les Noirs. Parti dans un périple au cœur du métro Moscovite en espérant trouver de l'aide pour sauver sa station, il nous permet de découvrir avec horreur les maints dangers de cette société de la pénurie. De station en station, la survie de l'humanité s'avère bien ténue.


Metro 2033 est avec Les Sentinelles de la Nuit (Serguei Loukianenko, 1998) un des deux grands cycles fantastiques Russes qui sont parvenus jusqu'à nous ces dix dernières années. Et dans le cas de Métro 2033, passé inaperçu lors de sa sortie, la création d'un jeu vidéo adapté du premier tome a clairement permis au roman de trouver ses lecteurs. 
Plus encore que dans les Sentinelles de la Nuit, déjà marqué par un profond désenchantement et le pessimisme des personnages principaux, joués en permanence par leur destin ou leurs instances dirigeantes, Metro 2033 est nimbé d'une asphyxiante noirceur. Que reste-t-il d'humain chez ces hommes qui savent que l'humanité et la civilisation sont condamnées à courte échéance, et que les lois de l'évolution Darwiniennes ont favorisé d'autres espèces ? Quelques vestiges d'espoir entremêlés de sauvagerie désespérée pour survivre encore un jour, encore un mois, à n'importe quel prix.

C'est ce mélange de ténèbres et de lumière (le jeune Artyom, se battant pour aider les habitants du métro), qui fait de Metro 2033 un roman d'apprentissage crédible, doublé d'un roman d'aventure hautement addictif. Entraînant à sa suite un lecteur fasciné par l'univers mis en place par Gloukhovski, Artyom découvrira peu à peu les noirceurs et les compromissions du monde adulte. La fin, superbe et troublante, est également une surprise qui donne de fabuleuses pistes d'évolution pour la suite. 
Enfin, le roman réutilise intelligemment la figure du Stalker, créé dans le roman du même nom des frères Strougatski en 1972, et sa lecture complétera au mieux un périple dans Métro 2033.

En résumé, cet été, allez vous perdre dans les dédales du métro Moscovite (et prenez un plan avec vous, ça vous facilitera rudement la lecture), le soir, à la lueur de votre lampe de chevet. Vous en reviendrez troublé.

Métro 2033, Dmitri Gloukhovski. L'Atalante, 2010, 25 €

PS : et si vous aimez ce roman, sachez que Gloukhovski a encouragé les jeunes auteurs à se servir de son univers pour raconter leurs histoires. Vers la lumière, d'Andreï Dyakov, publié chez le même éditeur, vous initiera donc aux mystères  du métropolitain de Saint-Pétersbourg.

samedi 13 juillet 2013

Chien du Heaume, Justine Niogret. Le féminisme en Fantasy

Eileen picolant joyeusement dans les bucoliques vignes alsaciennes en tendre compagnie, me voilà donc avec les clés du Castel et sa plage de publication du samedi. Et ça tombe bien, parce que j’avais grande envie d’aborder un sujet qui me tient à coeur : la place réservée aux femmes dans la littérature fantastique et de fantasy, et pourquoi cet épineux sujet me fait aimer Justine Niogret d’amour.

Il faut bien vous dire d’abord que ce sujet n’est pas circonscrit aux littératures de l’imaginaire, et que des rôles de décorative bredine, la littérature nous en a réservé plus que notre content. Je me souviens d’ailleurs avoir déséspéré, en cinquième, de ne pas pouvoir jouer Cyrano et de devoir me contenter de la palôtte Roxanne (alors que j’ai appris des années plus tard que Sarah Bernhardt, en 1900, jouait les rôles de mec, et s’en portait très bien).
Sarah Bernhardt s'interroge : à quand un rôle de nana un peu couillu ?

En littératures de l’imaginaire, pendant un bon bout de temps, ça a été un peu pareil. Parlez-moi d’un personnage féminin fort dans Elric, le Seigneur des Anneaux, chez King ou chez Philipp K. Dick : inexistants, hein ?

Sur ces entrefaites, les années 70 ont débarqué, et la fumée de soutien-gorge brûlés associée aux statistiques qui montraient la féminisation de la lecture ainsi qu’à l'arrivée des premières auteures de fantasy ont changé les choses peu à peu. On a vu apparaître quelques personnages féminins agissants : Ténébreuse de Marion Zimmer Bradley,  l’oeuvre d’Ursula K. Le Guin, ou, plus récemment La Symphonie des Siècles (Symphony of ages) d’Elisabeth Aydon, ont rétabli un certain équilibre.
Marion Zimmer Bradley : parce qu'on peut être verte et intelligente
Récemment, Urban Fantasy et Bit Lit sont venus ajouter de nombreux personnages principaux féminins à la liste. Enfin, pas tant que ça. Ces dames se battent, c’est sûr. Elles sont même très douées, ont des professions d’aventurières et des vies dangereuses. Mais (et c’est un énoorme mais) elles ont surtout des peines de coeur (et de cul) extrêmement formatées, quasi-similaires, et souvent odieusement conservatrices.

On prendra pour exemple le rôle de l’héroïne dans la série Twillight, les aventures des Soeurs de la Lune de Jasmine Galenorn, les Merry Gentry et Anita Blake de Laurell K. Hamilton, Vicky Nelson de Tanya Huff …
L'épitomé de la bit lit avec vampires à paillettes

Et du coup, j’admet une certaine lassitude : je cherche franchement des titres où le personnage féminin est complexe, actif, raisonné, et n’est pas uniquement résumé au désir qu’il éprouve pour un vampire/loup-garou/zombie/extraterrestre/mec dangereux.

Du coup, et venons-en au sujet de cet article, j’aime Justine Niogret, et j’aime Chien du Heaume.
Chien du Heaume n’est pas qu’une femme, c’est avant tout un très bon guerrier, qui doit survivre dans un Moyen-Âge digne de la Matière de Bretagne, avec Seigneurs, créatures Monstreuses, développement de la religion catholique et tutti.


Chien du Heaume n’a pas d’histoire d’amour dégoulinante de romantisme, elle a sa hache, sa faim de savoir d’où elle vient, et ses éventuels compagnons d’armes.
Son histoire est une histoire d’humanité et de loyauté, racontée dans la langue superbe et percutante de Justine Niogret, pleine de violence, de fougue, et de nostalgie.
Ce premier roman a été couvert de prix (Grand Prix de l’Imaginaire, Prix des Imaginales...), et mérite vraiment lecture.
De mon côté, dithyrambique et convaincue, je suis avec attention la suite de la carrière de la dame.

Chien du Heaume / Justine Niogret, J'ai Lu, 5,90 €

lundi 8 juillet 2013

Leçons du monde fluctuant, Jérôme Noirez


Combien de fois ne s’est-on pas penché sur Alice, son lapin blanc, son chapelier, ses aventures dans le pays des merveilles ?
Nombreuses sont les oeuvres a avoir repris tous ces éléments,sans oublier la figure fascinante et sulfureuse de son auteur, Lewis Caroll, figure elle aussi digne de roman.
De cette matière fabuleuse de nombreuses relectures ont été tentées, et c’est d’une énième adaptation, mais bien plus étrange, multiple et déjantée, qu’il s’agit ici.

 Dans une Angleterre cauchemardesque, pétrie de vieux principes, érigeant fanatiquement le savoir en divinité ultime, Charles Dogson enseigne les mathématiques, n’écrit pas de contes pour enfants, et ne se fait pas appeler Lewis Caroll. Sa seule source de joie, la photographie de petites filles, lui porte vite malheur. Contraint de s’embarquer pour l’Île de Novascholastica, terre de mission pour les vaillants enseignants de l’Educaume d’Angleterre, Charles Dogson va aller de mésaventure en mésaventure, et rencontrer notamment, dans un univers déjanté plein de clins d’oeils à Alice, une étonnante petite fille fantôme. Dans leurs pérégrinations au goût de mort et d’onirisme les accompagneront un moustique géant et divin, un Ecossais possédé par un aimable cerf peureux, et un chien de chiffon des plus sympathiques.

 


N’ayant pour l’instant pas lu d’autres oeuvres de Jérôme Noirez (même si Fantasy pour les Ténèbres me tente depuis bien longtemps), il m’est difficile de me rendre compte si le roman est représentatif du reste de sa production. Néanmoins, je dirais que ce qui fait la réussite de ce livre, c’est l’imagination de Noirez, nourrie d’une grande culture, et surtout complétée par une tournure d’esprit des plus déjantées. De son habile cerveau d’écrivain sortent maints concepts bizarres, drôles ou dérangeants, qui transforment son roman en vaste expérience foutraque, habilement contrôlée par son auteur. C’est un plaisir, n’ayez aucun doute, mais un plaisir inhabituel pour lequel mieux vaut s’accrocher. A réserver sans doute aux lecteurs qui ne laisseront pas effrayer par ces grands élans de fantaisie débridée et onirique.

 Leçons du monde fluctuant, Jérôme Noirez. J'ai lu, 2010, 7,20 €